Par Blandine CORDIER-PALASSE, Analyse Financière n°58 – 01-02-03/2016

Pour Blandine Cordier, la compliance ne se limite pas au respect des normes juridiques ou financières. Elle comprend les processus qui visent à assurer une bonne gouvernance dans l’entreprise. De manière optimale, ils visent à en améliorer la performance globale. Une vision du métier va bien au-delà du respect de la conformité.

Pour les investisseurs, partenaires, collaborateurs, clients, fournisseurs… une bonne société est celle avec laquelle on veut s’associer. Elle dispose notamment d’une organisation performante et solide à la base. Or, beaucoup d’entreprises sont aujourd’hui vulnérables. Elles le sont pour des activités illégales ou non, à tout niveau de l’organisation, parfois sans le savoir. 78 % des dirigeants d’entreprises à travers le monde considèrent la multiplication des réglementations comme le principal obstacle à la croissance de leur activité. Mais seulement 35 % se tournent vers le Chief Compliance officer (CCO) pour anticiper les risques réglementaires susceptibles de compromettre leur stratégie. Et pourtant, ces risques peuvent aussi devenir des opportunités, un élément de compétitivité différenciant.

Compte tenu de la mondialisation, de la concurrence accrue, de la course aux objectifs toujours plus élevés, d’une part, des réglementations et des normes nationales et internationales de plus en plus complexes d’autre part, la non compliance est devenue un risque critique. Un seul fait peut porter atteinte à l’image et à la réputation d’une entreprise. Ce même fait peut mettre en cause sa performance voire sa pérennité. Dans le prolongement de la loi Sarbanes-Oxley, les groupes anglosaxons se sont engagés dans cette démarche depuis plusieurs années. Ils sont donc en avance par rapport à nos entreprises. La compliance est pour eux un indicateur de bonne gouvernance et s’inscrit comme l’un de ses éléments fondamentaux stratégiques.

J’ai été avocat puis directeur juridique et secrétaire de conseil dans des groupes cotés pendant 15 ans. J’ai activement contribué à la mise en place de la gouvernance dans ces groupes.

Depuis que j’ai évolué vers le recrutement, je perçois bien l’impact de la compliance sur les entreprises. L’expertise acquise me permet d’accompagner le développement de ces nouveaux métiers. Cela me permet aussi de recruter des équipes transversales, pluridisciplinaires et complémentaires en France et à l’international, pour un déploiement mondial ou régional.

COMPLIANCE ET CONFORMITÉ : DEUX CONCEPTS DIFFÉRENTS

La compliance intègre la compréhension de la stratégie et l’alignement des comportements avec des outils qui permettent d’être conformes. C’est un changement de prisme, de paradigme, sécuritaire. C’est avant tout une culture du respect des règles pour assurer une performance plus solide et pérenne. La conformité est l’objectif. Elle définit jusqu’où aller pour garantir la sécurité des opérations. Le but est de préserver la réputation de l’entreprise, la mise en jeu de sa responsabilité civile et pénale.

La mise en place de programmes de compliance constitue un élément
stratégique et organisationnel pour accompagner ce changement de culture. Cette démarche a pour objectif de définir et évaluer les risques. Elle a aussi pour but de sensibiliser toutes les parties prenantes à leur importance. A cela s’ajoute la nécessité d’adopter un comportement responsable pour transformer ces risques en opportunités. Il faut surtout assurer la sécurité de l’entreprise. Elle donne du sens à l’action de chacun dans un contexte où les risques ne sont plus seulement financiers mais extra-financiers. On peut citer le risque de réputation qui figure au nombre des principaux actifs de l’entreprise.

LE RÔLE DU CHIEF COMPLIANCE OFFICER

Le CCO a pour mission principale de protéger le groupe et ses actifs les plus importants : ses clients et sa réputation. Il intervient en support de toutes les activités et doit être présent dans toutes les zones géographiques. Il est chargé de faire respecter les réglementations – de plus en plus complexes et extraterritoriales -, les normes professionnelles et extraprofessionnelles, et les règles d’éthique et de bonne conduite définies par l’entreprise et son environnement. Le CCO doit analyser ces règles et ces normes, dans la perspective de l’entreprise, son activité, sa culture, les enjeux, les marchés, son environnement global économique et extra-financier et les risques associés fonctionnels, opérationnels, d’image et de réputation.

Cheville ouvrière de la mise en place et du déploiement de la compliance au sein de tous les échelons de l’entreprise, au plus près des enjeux business de l’entreprise, le CCO définira auparavant l’ADN de l’entreprise afin de déployer un programme de compliance adapté. Sa très bonne appréhension de l’organisation, de la culture et des activités de l’entreprise le rend capable d’anticiper les risques et les contraintes qui lui sont propres et de communiquer efficacement sur l’intérêt de mettre en place de bonnes pratiques.

La mission du compliance officer est très matricielle. Elle est à la fois
verticale – elle descend du président vers tous les échelons du groupe -, et transversale en collaboration avec toutes les directions fonctionnelles et opérationnelles. Un CCO ne peut mettre en place un programme efficient si la caution n’est pas donnée du haut de la pyramide (« Tone from the top »). Cette caution ne doit pas être “cosm’éthique”. Dans ce contexte, la compliance ne se limite pas au respect des normes juridiques ou financières. Elle comprend les processus qui visent à assurer une bonne gouvernance dans l’entreprise et, de manière optimale, à en améliorer la performance globale.

LE PROFIL DU COMPLIANCE OFFICER IDÉAL

Outre une vision globale du business et des évolutions de marché de son entreprise, le CCO sera doté d’une grande faculté d’adaptation et d’une bonne sensibilité à l’évolution des règles et à l’éthique. C’est un esprit à la fois ouvert et curieux, indépendant, rigoureux, intègre avec un fort leadership. Il lui faudra être communicant et pédagogue, humain mais ferme. Ses compétences et ses qualités humaines lui permettront de conseiller, former, sensibiliser les salariés et les parties prenantes de l’entreprise à la compliance, à l’éthique des affaires, à la conformité, notamment dans le contexte de la responsabilité sociétale et environnementale. C’est aussi un capteur et un veilleur que les salariés n’hésiteront pas à interroger lors d’un dossier sensible.

Le CCO n’apprendra pas son métier au travers de son seul cursus académique. Son expérience, accumulée au fil des situations rencontrées, lui permettra de compléter ses connaissances, de développer ses compétences et d’affirmer ses qualités humaines. Il devra chaque jour être à l’écoute, comprendre et analyser des problématiques complexes, identifier et proposer des solutions concrètes. Nous recrutons donc de plus en plus de Compliance Officer ayant des profils internationaux. Ils proviennent d’univers très différents et complémentaires : commerciaux,
financiers, ingénieurs, auditeurs, juristes. C’est cette complémentarité et cette diversité font la richesse d’une équipe compliance. Cela permet une meilleure compréhension de toutes les parties prenantes. Attention toutefois à éviter plusieurs pièges. Le premier est celui de la tentation du politiquement correct. L’affichage d’une charte éthique ou d’un code de bonne conduite ne suffit pas s’il n’est pas accompagné d’un programme de compliance.

Le CCO doit aussi responsabiliser chacun par une meilleure compréhension de la stratégie. Le CCO doit éviter la déresponsabilisation ou le mauvais usage de la compliance pour rendre le délit conforme.

UN CHANGEMENT DE POSITIONNEMENT

Les entreprises européennes et a fortiori françaises prennent de plus en plus conscience de l’intérêt d’être “compliant”. Davantage proche de la direction générale, le CCO devient membre du comité exécutif. Il est en lien direct avec le comité d’audit et le président du conseil. Sa rémunération s’aligne sur celle des membres du comité exécutif.

Les directions ont réalisé que les CCO étaient devenus des partenaires stratégiques face à l’accélération des changements et à la multiplication des risques et des réglementations. Ils contribuent à anticiper les exigences en matière de conformité avant que celles-ci ne fassent obstacle à la réalisation de la stratégie de l’entreprise. Les CCO permettent de faire passer les messages lors des formations et des sensibilisations. Ils les font passer de la direction vers l’ensemble des salariés et, en retour, du terrain vers la direction. Egalement, les CCO mettent en place et déploient plus qu’un programme. Ils amènent à la conduite des affaires par et pour l’entreprise fondée sur la responsabilité et l’éthique, en alignant l’organisation sur les enjeux business. Ainsi, l’objectif est d’en améliorer la performance globale.

La mise en place de programmes de compliance donne donc du sens à l’action de chacun. Ce programme se trouve dans un contexte où les risques ne sont plus seulement financiers mais extra-financiers. On peut citer le risque de réputation qui figure au nombre des principaux actifs de l’entreprise.

BLANDINE CORDIER EST FONDATRICE ET MANAGING PARTNER DE BCP EXECUTIVE SEARCH DEPUIS AVRIL 2010. ELLE EST VICE-PRÉSIDENTE DU CERCLE DE LA COMPLIANCE QU’ELLE A COFONDÉ EN 2011.

Elle a démarré sa carrière au sein du groupe Schlumberger avant d’intégrer le cabinet Slaughter & May en 1988 comme avocat. Celle-ci a ensuite rejoint des groupes cotés en tant que directeur juridique. Elle a ensuite été secrétaire du conseil d’administration de Parfinance à partir de 1994. La fondatrice a rejoint de Gemplus en 1998 et enfin de Siparex en 2007. Elle est Docteur en droit, Master ESCP et avocat au barreau de Paris. Blandine CORDIER-PALASSE est aussi administrateur de société.