Par Marion KINDERMANS, LES ECHOS – 11/09/2013

Les dirigeants s’adaptent à toujours plus de normes et y consacrent du temps et de l’argent. Un exercice vertueux qui a aussi ses zones d’ombre : effet d’affichage, contournement des règles.

Bâle II puis Bâle III (banques), Solvency II (assurances), RSE, normes comptables IFRS, etc. Les entreprises doivent respecter un nombre grandissant de normes. « Depuis le début des années 2000, sous la pression de la Commission européenne surtout, le paquet réglementaire s’est considérablement renforcé ». Matthieu Courtecuisse, PDG cofondateur du groupe Sia, le confirme. Pour faire face, les sociétés effectuent de gros investissements en temps et en argent. Et, faute de ressources internes, se font le plus souvent épauler par des consultants extérieurs.

« C’est une énergie dépensée, qui n’est pas consacrée à d’autres aspects de la stratégie de développement », concède Matthieu Courtecuisse. BNP Paribas, par exemple, a dû investir massivement. Afin que sa succursale aux Etats-Unis soit en conformité en matière de transparence avec la loi américaine. Car, si l’entreprise ne respecte pas les règles, l’addition peut être salée. Dans l’environnement économique actuel toutefois, la compliance ne comporte pas que des inconvénients. Pour Eric Lasry, Managing Partner et associé M&A de Baker & McKenzie, « respecter les règles rend les entreprises plus compétitives ». Cela permet aux entreprises d’améliorer leur image, d’éviter les risques de sanction financière, de mieux se positionner sur les marchés publics. Mais également d’être mieux perçues par les actionnaires ou les agences de notation, et de recruter plus facilement.

Cinq premiers enjeux

Selon la dernière enquête « Audit interne » menée par le cabinet d’audit et de conseil EY sur les attentes des entreprises, la conformité reste dans les cinq premières préoccupations des dirigeants. « Depuis dix ans, le risque réglementaire figure dans les cinq plus importants enjeux des dirigeants. C’est particulièrement vrai pour le secteur bancaire et les secteurs très réglementés comme la pharmacie. La crise économique et la mondialisation ont fait évoluer les préoccupations depuis trois ans. Les dirigeants sont désormais plus exigeants. Ils demandent à leurs fonctions d’audit interne de gérer les risques business. Tels que les risques liés aux grands projets ou bien de vérifier les stress tests des modèles économiques. » Explique Dominique Pageaud, associé Business Consulting Advisory chez EY.

Ce changement de priorité est aussi dû au fait que les entreprises ont peu à peu mis en place des équipes compliance efficaces. « Le sujet de la conformité est toujours aussi important. Car si elles ne respectent pas la réglementation, certaines entreprises risquent beaucoup et peuvent fragiliser durablement leur modèle économique. Cependant, les préoccupations business s’intensifient de manière significative dans les plans d’audit », conclut ainsi Dominique Pageaud.

Les objectifs sont dans un premier temps positifs : meilleure éthique, transparence, meilleure gouvernance, alignement international pour la conquête de nouveaux marchés, etc. Mais des limites finissent par se poser. Certains empilements de réglementations successives aboutissent à ce que Matthieu Courtecuisse nomme « les spaghettis règlementaires », avec pour principale conséquence des injonctions paradoxales. « Dans le domaine du photovoltaïque par exemple, on assiste à des cas aberrants entre les décisions prises par l’autorité de la concurrence et celles de l’autorité de régulation », dénonce le consultant.

Mais il y a plus ennuyeux encore. « C’est la panacée de l’irresponsabilité légale ! Une fois qu’on est conforme, on peut se croire tout permis », s’emporte Françis Rousseau, président de Quartier Libre. Le fondateur d’Eurogroup Consulting (dont il est aujourd’hui président du conseil de surveillance) ne mâche pas ses mots : « Quand la conformité devient un paravent ou mène vers l’uniformisation, elle ne sert à rien. » Alors la compliance, une simple vitrine ? « Il y a vingt ou vingt-cinq ans, on pouvait soupçonner les codes de bonne conduite de se limiter à de l’affichage. Ce n’est plus le cas. Aujourd’hui, les sanctions des autorités compétentes peuvent être très sévères sur ce point », estime Eric Lasry.

Mais Francis Rousseau dénonce des effets plus pervers. « Bâle I, puis Bâle II, puis Bâle III mettent des années à sortir, laissant suffisamment de temps pour que des instruments financiers soient inventés pour les détourner », pointe-t-il du doigt. Sans aller jusque-là, des entreprises peuvent en effet s’accommoder d’une utilisation plus souple des règles. « Dans le cas des règles comptables, si les entreprises font de l’application intelligente de la norme, en optimisant l’impact financier, je n’y vois rien a priori de répréhensible.» Juge Charles-Antoine Roger, leader retraite de Mercer France, qui vient de publier une étude annuelle sur les engagements sociaux du CAC 40.

Au final, les entreprises qui se conformeraient juste à la loi sans se soucier de leurs salariés n’y auraient aucun intérêt. « Par exemple, aucune règle ne les oblige à se soucier du niveau de retraite de leurs salariés, au-delà des obligations légales. Or c’est un atout pour attirer et retenir les talents. C’est aussi un outil de pilotage majeur de la pyramide des âges. Les entreprises l’ont compris »,  explique Charles-Antoine Roger.