Par Blandine CORDIER-PALASSE, Fusions & Acquisitions Magazine

Pour une entreprise, la réputation est au nombre de ses principaux actifs. C’est également l’un des plus fragiles. Construite pas à pas, dans la durée et l’excellence, la réputation peut s’écrouler en quelques instants. Il va donc de son intérêt de tout faire pour la protéger. Le but est de la renforcer dans toutes ses activités et avec l’ensemble des parties prenantes. Or, cette réputation est mise en danger à l’occasion de chaque opération d’acquisition. C’est pourquoi il convient d’appréhender très en amont les diligences nécessaires. L’objectif est de protéger l’entreprise de tout risque d’absence de compliance.

Pour tout acquéreur, qu’il soit industriel ou investisseur en capital il semble fondamental d’éviter la « mauvaise bonne opération ». Elle risque d’ouvrir une boîte de Pandore, avec ses mauvaises nouvelles en cascades. Cela aurait pour conséquence de mettre à mal son image et sa réputation. Plus globalement, elle fait peser un péril sur l’économie de l’ensemble du groupe. De manière très pragmatique, et c’est souvent ce qui a le plus d’impact auprès des acquéreurs. Leur responsabilité peut se trouver en cause, y compris dans le cas de situations héritées de pratiques antérieures à l’opération. En matière de fusions-acquisitions, il convient donc de bien connaître tous les tenants et aboutissants concernant la cible avant d’en accepter l’héritage. Déployer un programme de compliance contribue à assurer l’efficience des mécanismes de contrôle en anticipation des projets, en amont des opérations et a posteriori dans l’entreprise.

Dirigeants et conseils doivent donc bien saisir ce qu’implique la compliance. Car il est toujours plus simple, pour bien appréhender ces sujets et éviter les désagréments, d’avoir d’ores et déjà mis en place une politique de compliance en interne. Dans un environnement extrêmement concurrentiel, notamment lors d’une opération d’acquisition, les entreprises et leurs dirigeants doivent faire face à des décisions stratégiques de plus en plus difficiles. Avoir fait appel à l’expertise de spécialistes pointus en amont est donc un gage d’efficacité et de rapidité sur des questions complexes mais indispensables.

La Compliance, un actif de long terme, qu’il ne faut pas négliger

Pour un dirigeant, bien comprendre la compliance c’est tout d’abord savoir définir son périmètre. La compliance a pour objet de s’assurer que les activités de l’entreprise soient en conformité avec les lois. A cela s’ajoutent les règlements civils et pénaux notamment pour prévenir et détecter les malversations. Elle permet également d’intégrer une pédagogie sur la portée des règles applicables et enfin de mettre en place des procédures de prévention et de contrôle. Cela couvre trois principaux volets :

– la lutte contre la corruption : active/passive, fraude, escroquerie, commissions, blanchiment, dé- tournement, trafic d’influence, falsification, distorsion de concurrence, antitrust, délits d’initiés, conflits d’intérêts… ;
– les risques sociaux : discriminations, exploitation, travail des enfants, droits de l’homme, harcèle- ment, environnement, risques psychosociaux, sécurité de l’information, atteinte à l’image ;
– les risques pénaux : notamment la responsabilité personnelle du dirigeant (abus de pouvoir, abus de confiance, abus de bien social…) et la responsabilité morale de l’entreprise.

Le dirigeant – et plus encore l’acquéreur – doit aujourd’hui parfaitement maîtriser ces éléments à la complexité croissante. Les réglementations se sont en effet particulièrement renforcées depuis une quinzaine d’années avec par exemple, dès 2000, la prise en compte des exigences de Sarbanes Oxley sur le contrôle interne et la prévention des fraudes. Tout cela s’ajoutant aux dis- positions extraterritoriales des textes de lutte contre la corruption. En France, la loi du 3 juillet 2008 et l’ordonnance du 8 décembre 2008 ont transposé la 8e directive. Ces législations ont ainsi donné de nouvelles responsabilités aux administrateurs. Ils doivent notamment répondre à de fortes attentes en matière d’éthique. Ils sont tenus de veiller à l’efficacité des procédures de gestion des risques. C’est normalement au management de mettre en place des procédures efficaces.

La compliance s’est imposée aux États-Unis comme une réponse au risque d’héritage du passif pénal d’une entreprise récemment acquise. En France, si l’acquéreur n’est pas responsable de ce passif pénal de l’entreprise achetée, la mise en place d’une compliance efficace doit lui permettre en revanche d’éviter une accusation de recel. Le montant potentiel des amendes et les lourdes conséquences des manquements constatés sont de fortes incitations au renforcement des bonnes pratiques. Quelques exemples va- lent souvent mieux que de longs discours. Ainsi, en 2010, le groupe KBR s’est vu infliger une amende de 800 millions de dollars pour manquement aux pratiques éthiques. En 2006, Pierre Levy, le dirigeant de Faurecia, devait quitter ses fonctions à la suite d’un pacte de corruption non identifié dans une filiale fraîchement rachetée. Des pratiques pourtant antérieures à l’acquisition.

Bien connaître sa propre Compliance pour détecter en amont les points de vigilance d’une acquisition

Avant même d’aborder une opération d’acquisition, l’équipe de direction et son conseil d’administration doivent donc avoir parfaitement défini la stratégie de leur propre structure. Ils doivent connaître les lignes directrices de leur action et les valeurs à respecter. Et, bien entendu, s’inscrire dans cette approche tout en la transmettant à l’ensemble de leurs équipes.

Un programme de compliance bien intégré constitue un gain de temps précieux. Il l’est quand le processus de négociation ou d’enchère est enclenché. Le concept est d’avoir bien identifié les points de vigilance acceptables ou non. Il faut surtout identifier ceux sur lesquels il est impossible de transiger. Les due diligences devront les prendre en compte à l’instar des situations de corruption d’agents publics ou privés, des problèmes d’entente ou de concurrence déloyale, d’environnement, de droit social avec des risques de contentieux, de contrôle et rappels URSSAF. Il sera nécessaire prendre en compte bien d’autres encore qui pourraient mettre en péril l’économie de l’opération.

Une bonne analyse de la compliance de la cible doit donc permettre d’auditer les chaînes de délégations de pouvoirs. Cela permet aussi d’analyser les conflits d’intérêts, d’établir une cartographie des risques. Le but est d’en assurer la traçabilité des informations. Il faut aussi d’identifier les zones de vulnérabilité et les personnes exposées. A cela s’ajoutent les mécanismes et leurs enjeux. De plus, il faut en apprécier le caractère économique et en chiffrant les coûts associés aux différentes difficultés.

Dédaigner ces éléments, les laisser de côté, ne pas les prendre en compte à la hauteur de leurs enjeux et des dangers qu’ils sous- tendent, c’est décider finalement de vivre avec de véritables épées de Damoclès post-acquisition. La garantie de passif pourra s’actionner en réduction de prix ou en résolution de la cession pour vice caché. Ce sera aussi a minima un coût supplémentaire et une baisse de rentabilité pour le vendeur. Pour un investisseur, la situation sera particulièrement compliquée lors de la cession ultérieure envisagée. Elle le sera notamment dès lors que seraient apparues des situations environnementales de pollution des sols ou d’absence d’autorisations. Les cas de manquement sont dorénavant multiples.

Par ailleurs, quel acquéreur souhaiterait être poursuivi pour abus de bien social ou pour recel ? Sans doute aucun. Mais combien ont mis en place des directions « Ethique et conformité » en interne pour se prémunir de situations à risque ? C’est bel et bien là tout l’enjeu de la compliance. Se diffuser au sein de l’entreprise, de ses pratiques pour devenir un état d’esprit commun et fédérateur. outil d’organisation, le programme de compliance limite les risques en ligne et au service de la stratégie de développement de l’entreprise. Il faut prendre en compte les aspects de compliance dans une opération de fusion-acquisition. Cela devient un automatisme, au même titre que la due diligence financière ou juridique.

Car il vaudra toujours mieux rater cette fameuse « mauvaise bonne affaire » que de voir détruites en un article de presse la réputation et l’image que l’entreprise aura mis des années à construire.