Les Echos

Gouvernance

Marion Kindermans, avec M. J.

« Il y a quinze ans, certains conseils étaient encore parfois des chambres d’enregistrement. Cela a heureusement bien évolué depuis », assure Blandine Cordier Palasse. Elle est présidente du cabinet de chasse de têtes BCP Executives search, ancienne secrétaire du conseil de Gemplus. Devenue un enjeu majeur, la gouvernance est en bonne voie de professionnalisation.

Comités au cœur de l’efficacité

Réduction du nombre de mandats, évaluation et augmentation des administrateurs indépendants, diversification des membres, etc. : les conseils d’administration, sous la pression à la fois de l’Etat et des codes patronaux Afep-Medef, soignent leur efficacité. Selon le dernier rapport annuel de l’Autorité des marchés financiers, 80% des sociétés cotées interrogées disposent d’un conseil d’administration. Près des trois quarts ont unifié les fonctions de président du conseil et de directeur général. L’organisation des comités (audit, rémunération, etc.) est désormais au cœur de cette efficacité.

« Les comités se réunissent souvent quatre à dix fois par an souvent une demi-journée », argue Patrick Bignon, associé fondateur de Bignon de Keyser. Condition préalable à leur utilité : la transmission de l’information la plus complète et transparente possible aux administrateurs. « Certaines entreprises ont mis en place des bases de données accessibles par code secret. D’autres prennent en charge des formations avec des analystes financiers. Ou encore, elles organisent des journées spéciales sur la stratégie interne », rapporte Patrick Bignon.

Formation et savoir-être

Le choix du secrétaire du conseil doit être avisé. Un groupe de travail de l’Institut français des administrateurs (IFA) le rappelle, consacré au sujet. Il joue un rôle de « facilitateur » entre les activités des comités. Ce rôle se trouve aussi avec le directeur général, le président et des administrateurs de plus en plus formés. Catherine Leducq est actuellement en formation à l’IFA-Sciences po, malgré son solide CV (ex-directrice financière de ST Dupont du « Parisien »). « Il y a eu beaucoup d’évolution sur la RSE, le Say on Pay, les responsabilités des comités d’audit. C’est très important de se mettre à jour » explique-t-elle.

« La formation ne suffit pas. Il faut aussi avoir le sens de la responsabilité collégiale », rappelle Anne Navez, fondatrice de votre-administrateur.com. Et attention au sens donné au mot professionnalisation. « Etre administrateur ne doit pas être un métier à part entière, au risque de mettre en péril l’indépendance. C’est pour cela que la limitation des mandats est essentielle », estime Viviane de Beaufort, professeur à l’Essec, spécialiste de la gouvernance d’entreprise.

Profils nouveaux

Désormais, le maître mot aujourd’hui : diversité. De genre, de métiers et de nationalités. Fini « le cercle des barbichettes » comme le précise avec ironie Blandine Cordier-Palasse. Il s’agit notamment de favoriser l’expertise plutôt que le réseau. Ce qui permet de renforcer l’indépendance des membres. La loi Copé-Zimmermann, qui impose 20% de femmes dans les conseils d’administration en 2014 (pour les sociétés cotées de plus de 500 salariés et 50 millions d’euros de chiffre d’affaires) et 40% en 2017, a porté ses fruits.

D’après les données de l’Observatoire Ethics & Boards parues en juin, la part des femmes dans les conseils des sociétés du CAC 40 est passée de 11% en 2009 à 28% aujourd’hui, même si des inégalités existent entre les groupes. La dernière enquête Russell Reynolds Associates, dont « Les Echos » publient les résultats en exclusivité, relève ainsi que la France se situe au deuxième rang européen derrière la Norvège (38%) et devant la Suède (27%).

Phénomène intéressant, la féminisation « a poussé les entreprises à chercher dans des viviers différents », explique Viviane de Beaufort. « Les conseils étaient surtout composés de directeurs généraux, financiers, ou de la stratégie. Aujourd’hui, les compétences sont plus diverses : marketing, communication, ressources humaines ou académiques », assure Blandine Cordier-Palasse, qui estime aussi « la présence d’experts juridiques fondamentale pour mieux évaluer les risques de mise en jeu de leur responsabilité ». La féminisation augmente surtout le nombre d’administrateurs indépendants, remarquent Marc Sanglé-Ferrière et Paul Jaeger, associés au sein du cabinet de chasse de têtes Russell Reynolds : 74% d’administrateurs indépendants femmes (contre 61% pour les hommes) et 65% dans le SBF 120 (contre 43% pour les hommes).

Représentants salariés

Autre pas supplémentaire : la loi sur la sécurisation de l’emploi, promulguée en juin, introduit l’obligation de faire entrer des représentants des salariés dans les conseils d’administration pour les entreprises de plus de 5 000 salariés en France. Pour l’instant, plus d’une entreprise sur deux au sein du CAC 40 n’a pas de représentant des salariés au sein de son conseil (43% des sociétés du CAC 40 et 21% des sociétés du SBF 120 en ont). « Cela sera plus ou moins simple selon l’envergure internationale de l’entreprise, la structure juridique, la nature du dialogue social et la cartographie des forces syndicales », pronostique Anne-Marie Idrac, administrateur et ex-PDG de la RATP et de la SNCF.

L’internationalisation des conseils progresse mais laisse entrevoir des limites, une connaissance insuffisante du pays, problèmes de rencontres physiques notamment, relève Russell Reynolds. Quant aux évaluations des conseils (auto-évaluation, questionnaire interne, expert externe…), elles demeurent encore trop hétérogènes.

La question épineuse de la rémunération

Faut-il réglementer le montant des «jetons de présence » ? Selon l’étude de Russell Reynolds, si la rémunération moyenne des administrateurs stagne dans l’univers du CAC40, à 63.000 euros, elle recule dans les sociétés du SBF120 : de 44.000 euros en 2012 à 38.000 euros. « Cela cache une guerre des talent surtout féminins – larvée », estiment Marc Sanglé-Ferrière, managing partner de Russell Reynolds à Paris. « Avec une pression à la hausse des rémunérations. »Viviane de Beaufort (Essec) considère
quant à elle que « cela crée une discordance d’attractivité.

Les grandes entreprises peuvent recruter dans des viviers internationaux, alors que c’est plus compliqué pour lesET1. » Pour Anne Navez, « un minimum de rémunération obligatoire s’impose. Un administrateur ne peut pas consacrer 10 à 20jours de travail par an sans être payé justement en retour », déclare-t-elle.